Texte (extraits) : Dominique Sadri-Faure, Mésaventures d’un cambrioleur détective (Edition Le Manuscrit)

Illustrations : Catherine Beaumont

Les mésaventures de P’Tite Tête :

 

 


L’arrivée d’Archibald




A mi-chemin entre le style BD et le texte littéraire, Mésaventures d’un cambrioleur détective est un roman humoristique qui met en scène Maxime Terrier – dit P’tite Tête - jeune homme candide, maladroit et attachant, assorti d’un sympathique chien des rues, « Le Clodo ». A eux deux, ils vivront des aventures désopilantes chez une extravagante duchesse et seront confrontés à une étrange énigme policière, dans un déluge de mots pris pour d’autres et d’expressions détournées du langage populaire.
 
Tous les extraits proposés sont lus par l'auteure.

   

Voici un extrait des mésaventures de P’Tite Tête, lequel vient d’être engagé malgré lui comme valet de pied dans la demeure parisienne du Duc de Grospoix, riche négociant en mélasse. Pour l’heure, on attend un invité, Archibald Simson, un Anglais, associé de monsieur le Duc…

L'extrait est accompagné d'un exercice... de style (avec indices) ainsi que d'une liste des mots difficiles avec des explications.

Ci-dessous, une illustration des protagonistes de l’extrait.

 
Maxime Terrierdit
« P’Tite Tête »
Estelle de Gropoix
Duchesse (par alliance)
Monsieur le duc de Gropoix
Homme… d’affaires ( ?)
Archibald Simpson
Associé de monsieur le Duc
Guy La Grufferie
Cousin d’Estelle
Elodie
Nièce d’Estelle

 

 

Texte lu par l'auteure

Chapitre 16


Une arrivée intempestive


    Dans l'après-midi, P'tite Tête se trouva bien embarrassé: il était seul dans la maison et redoutait l'arrivée de l'Anglais. Bien sûr, tout le monde avait veillé à ce que la chambre qu'on lui réservait - la plus belle des deux chambres d'amis, l'autre ayant été attribué à Elodie - fut particulièrement reluisante, exempte de tout soupçon de poussière, de toute chiure de mouche sur les murs, bref, impeccable. Car Archibald - disait-on d'expérience suite à plusieurs courts séjours en ces lieux - était d'une rare maniaquerie.
    La chambre, donc, était prête. Mais là n'était pas la question. P'tite Tête craignait que ses manières, qu'il n'avait pas très bonnes, fussent incompatibles avec celles d'un Archibald Simpson. Il ne se sentait pas non plus à la hauteur pour aider à servir les repas. Mais surtout, il ne saurait jamais comment accueillir le gentleman s'il débarquait, par exemple, dans l'instant... sans parler qu'il ne comprenait pas un mot d'anglais!

    Pour passer le temps en attendant que quelqu'un revienne le délivrer de sa légitime appréhension, il allait et venait dans le salon, traînant les pieds sur les patins de feutre, histoire de faire davantage briller le parquet pour complaire à la Duchesse, laquelle mettait un point d'honneur à pouvoir faire admirer au public les planchers les plus lustrés de tout l'arrondissement. A ces fins, d'ailleurs, la gente ancillaire de la maison était instamment priée de ne poser les pieds, du moins au salon et dans le bureau de Monsieur le Duc, que sur les patins intentionnellement déposés à l'entrée des deux pièces. Les autres âmes de l'endroit en étaient, elles, dispensées. P'tite Tête s'activait donc dans un frénétique jerk, style "sixties", à frotter de ses pieds le sol déjà resplendissant quand soudain un strident coup de sonnette le figea, bras à l'équerre, devant le manteau de la cheminée. Un coup d'oeil au miroir du trumeau lui confirma que son visage était instantanément devenu blafard, avec quelque reflet verdâtre. Pour sûr, c'était l'Anglais...

    P'tite Tête se dirigea au radar, d'un pas accablé, vers l'huis principal. Un second coup de sonnette, aussi impératif mais, lui sembla-t-il, un tantinet plus narquois, l'invitait à se patiner. En pressant l'allure, il s'embrouilla dans la serrure de la porte ultra blindée dont il essayait d'ouvrir les deux battants en même temps pour le cérémonial. Enfin, lorsqu'il parvint à assurer l'accès de la demeure à l'hôte attendu, il vit passer alertement devant lui un homme assez jeune, valise à la main, qui le salua d'un "hello!" plutôt joyeux. L'Anglais avait l'air sympathique... Grand, athlétique, le cheveu vaguement blond, foisonnant mais maîtrisé par une coupe classique, une tête allongée et un menton pointu, le tout monté sur un coup de taureau, cet Anglais, se disait P'tite Tête, avait sûrement bien l'air d'un Anglais, de ceux qu'il avait vus dans une équipe de rugby. Et cela ne résolvait certes pas le problème de la langue. Il y avait de quoi se sentir à l'aise comme un poisson sur un tas de ferraille.
    P'tite Tête se fit tout affable pour susurrer qu'il n'y avait personne, que si Monsieur voulait bien prendre, ou tout au moins se donner la peine, que, en un mot, s'il voulait bien le suivre, il pourrait peut-être le guider jusqu'à sa chambre... L'Anglais partit d'un "OK" qui sonnait tout ce qu'il y a de plus américain et qu'il fit suivre d'un rire communicatif.

    Lorsque P'tite Tête referma la porte derrière l'homme qui déjà avait balancé d'un geste négligent d'habitué, son bagage sur le lit, il poussa un "ouf" bien mérité. Dans le fond, ce n'était pas si difficile! Il s'était mis à la portée des circonstances et l'Anglais n'était pas si tâtonnant que ça. "Vraiment, quelle idée de s'inquiéter pour rien! Et c'est toujours comme ça! Quel âne battu je fais!" se disait P'tite Tête par devers soi en descendant allégrement l'escalier.

* * *

 

 

Texte lu par l'auteure

Chapitre 17

Circonstances défavorables

 

    P'tite Tête se dirigea droit vers la cuisine où il s'installa aussi confortablement que l'endroit pût le permettre, assis les pieds sur une chaise, la tête renversée, une canette de bière dans une main et une cigarette dans l'autre. Il savourait la douceur des choses, percevant - mais à peine - une certaine agitation à l'étage. Les bruits dénotaient que le nouveau venu commençait à prendre une douche dans la salle d'eau attenante à la chambre où il avait emménagé.
    Comptant que, pour quelqu'un d'aussi méticuleux que l'Anglais, ces ablutions devaient bien durer un quart d'heure, P'tite Tête jugea qu'il avait le temps d'aller faire pisser le chien dans la cour. Cette obligation, au reste, était de mieux en mieux orchestrée grâce à la vive intelligence du clébard et au sens pratique d'Elodie qui avait aidé au dressage de l'animal. Après deux essais seulement, Le Clodo avait marché dans la manœuvre. Celle-ci consistait à siffler le chien du bas de l'escalier de service. D'un coup d'antérieur bien placé, ce dernier ouvrait la porte restée contre et dévalait l'étage pour rejoindre son maître. Après avoir satisfait ses besoins et s'être dégourdi les pattes, il remontait tout seul. On n'était pas encore arrivé à lui faire refermer la porte...

    Pour l'heure, Le Clodo s'ébrouait bruyamment, arrosé à l'occasion par le jet que P'tite Tête passait abondamment sur le sol de la cour qui avait fini par empester de façon fort suspecte. A peine le robinet d'eau fut-il coupé qu'on entendit très nettement la grande porte se refermer sur le duc qui n'était pas seul.
    "- Entrez! Entrez! Cher ami!" clama-t-il comme si l'interlocuteur était sourd comme un pot. Nous vous avons fait préparer la chambre qui donne au Sud.
    - Aoh! répondit une voix mâle. Joyeuse bonne idée! Comme c'est gentil de vous! C'est la pièce du dernière fois, n'est-il pas?"

    P'tite Tête, planté au milieu de la cour luisante de flaques, se sentit virer au rubicond. Il avait bel et bien cru discerner une légère mais réelle intonation britannique dans la façon qu'avait l'hôte de déclarer les choses. Alors, si c'était lui, le Simpson - et le souvenir lui revint, mais trop tard, que le Duc se proposait lui-même de l'aller quérir à l'aéroport - qui était donc l'autre? Celui qu'il avait installé dans la chambre de Simpson et qui prenait sa douche dans la salle de bains de Simpson... Si P'tite Tête avait fait une pareille bourde, il n'avait qu'à bien numéroter ses abattis! Le Clodo, tout penaud car il avait d'instinct senti qu'on n'avait plus le vent en croupe, fila dans l'escalier sans demander si son compte était bon.

    A l'intérieur, le duc commençait, conjointement à son visiteur, l'ascension vers la chambre promise lorsque P'tite Tête vit avec un soulagement provisoire que Madame la Duchesse et Elodie venaient de faire leur entrée. Les congratulations devaient laisser quelques instants de répit avant la découverte de l'anomalie.
    Tandis que le véritable Anglais saluait, remerciait, s'extasiait, le malencontreux valet, longeant les murs, trouva le moyen de se glisser dans la cuisine où, pensait-il, il serait plus près de la sortie s'il était chassé à coup de balai par le maître impétueux devenu furax. Son principal objectif, à cet instant crucial, était de disparaître comme un cafard dans une latte de bois.

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Texte lu par l'auteure

Chapitre 18

Circonstances aggravantes

 

    La petite troupe, Fulbert de Grospoix en première ligne, se retrouva cahin-caha au milieu de l'envolée des marches. Tout à coup, le duc, gonflant son court et large poitrail de l'air pollué de la capitale, poussa un appel tonitruant à l'attention de P'tite Tête. Il fallait qu'il vînt séance tenante débarrasser l'invité de son léger bagage. P'tite Tête s'exécuta. On reprit la montée, laquelle devait fatalement aboutir au couloir du premier puis à la pièce occupée par l'intrus qui, pour l'instant, ne se manifestait pas.
    Le duc offrit à son hôte distingué son plus généreux sourire en ouvrant fièrement pour lui la porte de sa future chambre, sourire qui se mua aussitôt en un rictus effroyable. Le spectacle était en effet édifiant: la vaste pièce était jonchée de vêtements; des fleurs roses et blanches, venues par la fenêtre grande ouverte des arbres arrivés en fin de saison florale, tournoyaient dans l'air empoisonné par de nauséabonds relents de cigarillo mal éteint; la table et les fauteuils étaient couverts d'ustensiles probablement indispensables à leur propriétaire: flacon débouché, accessoires complets de rasage et de toilettage, livres et revues à couverture pornographique avec ça et là des bouquets de kleenex usagés. P'tite Tête n'osait même pas envisager l'état de la salle de bains par laquelle le mécréant était passé...

    Dans ce capharnaüm, on entendit se dégager ce que P'tite Tête perçut comme des sifflements de cocotte-minute venant du fond de la pièce où le déplorable individu, vautré chaussures aux pieds sur le lit style Napoléon de l'époque, dormait comme une marmite.
La duchesse poussa un cri suraigu qui invita le dormeur à soulever mollement une paupière de batracien: "C'est affreux! J'avais complètement oublié ce pauvre cousin Guy!"
    Elle tenta ensuite d'expliquer à un Archibald visiblement offensé que ce pauvre Guy, son cousin, lui avait écrit qu'il passerait un jour ou deux, un de ces jours... La missive, dans le souvenir de la dame, n'était pas autrement claire et elle avait, c'est horrible n'est-ce pas, omis de répondre.

    Personne ne s'enquit de la façon dont le fameux Guy avait atterri céans et des conciliabules entre les deux époux définirent qu'il ne pourrait aller que dans la seule chambre restée libre, une petite piaule à côté de celle de P'tite Tête, ce qui n'arrangeait pas forcément les affaires dudit en raison des allées et venues canines qui finiraient bien par passer... aperçues!

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Pour l'exercice... de style (qui consiste à repérer, à partir d'indices, les petites anomalies de langage de l'extrait), c'est ICI !

Pour les mots difficiles de l'extrait, expliqués, c'est ICI !